Transatlantic

Colum McCann

Belfond

  • Conseillé par
    7 octobre 2013

    McCann Colum : Transatlantic

    Transatlantic, le roman Column McCann est conçu comme un puzzle dont les morceaux, en se mettant en place peu à peu, ne donnent l'image entière qu'à la fin, lors de la mise en place du dernier fragment. En effet, l'intrigue est complexe et le lien entre les personnages, nombreux, n'est pas dévoilé immédiatement. C'est ce qui fait la force du récit, ces allers-retours dans le temps entre plusieurs moments du passé et du présent, du XIX siècle à nos jours, mais aussi dans l'espace : de l'Irlande, terre maternelle, à l'Amérique, terre d'exil et d'adoption. Transatlantic, c'est ce passage de l'une à l'autre rive dans un sens ou dans l'autre dans un mouvement constant, une toile d'araignée complexe dont les fils qui ne cessent de s'entrecroiser finissent par former un dessin précis et réussi.


    En effet, si Lily Dungan, petite bonne irlandaise, part en Amérique, dans le milieu du XIX siècle, pour échapper à l'humiliation de sa condition et à la misère et si sa fille Emily se fixe à Terre Neuve, les aviateurs John Alcock et Arthur Brown, décollent de ce dernier lieu pour atterrir en Irlande en 1919, à bord d'un ancien bombardier reconverti pour cet exploit extraordinaire en avion de la paix. En 1846, l'américain noir Frederick Douglass, ancien esclave, vient prêcher la cause de l'abolitionnisme à Dublin dans un pays en proie à la famine, déchiré par les conflits politiques et sa haine de l'Angleterre; à la fin des années 1990, le sénateur américain George Mitchell est à Belfast où il oeuvre pour la paix en Irlande du Nord au moment où y vivent Lottie et Hannah, les descendantes de Lily, retournées au pays.
    C'est ainsi que Colum Mc Cann mêle habilement personnages fictifs et personnages historiques, les fait se croiser, et tisse, au fil de ces rencontres, la trame de l'histoire qui révèle les interactions qu'ils ont entre eux.

    Mais paradoxalement, ce sont les personnages fictifs qui paraissent les plus vrais, les plus vivants, ce sont ceux qui nous touchent le plus par leur humanité. Les personnages historiques ont pourtant un destin hors du commun mais ils ne donnent pas cette impression de vie. Chacun pourrait être le sujet d'une histoire riche et passionnante surtout l'abolitionniste noir Frederick Douglass que j'ai envie, pour ma part, de mieux connaître tant sa vie est étonnante, exceptionnelle. Mais le roman les présente trop rapidement et nous restons sur notre faim avec l'envie d'en savoir plus sur eux. Peut-être faudrait-il connaître leur parcours mieux que je ne le fais pour apprécier leur apparition dans le roman? Il semble que l'écrivain n'ait pas pris assez de liberté avec l'histoire pour en faire des êtres de chair et de sang; ils restent en dehors, des figures exemplaires plutôt que des participants à l'action. Alors que ces femmes courageuses, nées sous la plume de l'écrivain, Lily, Emily, Lottie et Hannah, éveillent notre sympathie, elles qui souffrent, victimes de la famine, l'exil, la guerre, le deuil, la perte d'un fils, pour l'une pendant la guerre de Sécession, pour l'autre dans les conflits de l'Irlande du Nord… En rencontrant ces femmes, le sentiment de ne pas être concerné, pendant une bonne partie du roman, s'efface peu à peu, surtout avec le dernier récit, poignant, d'Hannah et son dénouement si profondément nostalgique.

    Il n'existe pas d'histoire qui, en tout ou en partie, ignore le passé. Le monde a cela d'admirable qu'il ne s'arrête pas après nous.
    Même si j'ai aimé l'habileté de sa composition, Transatlantic ne m'a donc pas entièrement séduite. Je n'ai adhéré qu'à une partie de l'histoire, celle qui est de l'ordre de la fiction, les personnages historiques paraissant étrangers à l'univers romanesque de l'auteur.


  • Conseillé par
    20 août 2013

    Vols au dessus de l'Histoire.

    Retour aux sources pour moi et aussi pour Colum McCann, source littéraire pour moi, irlandaise pour lui, avec ces histoires reliant l'Irlande à l'Amérique.
    Plusieurs époques se suivent sans trop de chronologie, 2012 pour les premières pages, puis 1919, retour en 1845/46, saut dans l'avenir pour atterrir (terme qui, je trouve, convient très bien !) en 1998. Retour entre 1863/1889 et aussi un retour en Irlande. Puis la conclusion en 2011.
    En 1919, Alcock et Brown, deux téméraires aviateurs émérites tentent la première traversée de l'Atlantique sur un bombardier désarmé. Une jeune femme leur tend une lettre à remettre à des membres de sa famille à Cork. Début d'une aventure humaine et technique qui va bouleverser le monde ! Curieusement l'histoire ne retiendra guère leurs noms.
    Frederick Douglass lui aussi va participer à un autre grand bouleversement social, l'abolition de l'esclavage. Pas encore d'avions, mais une tournée longue et épuisante en Grande-Bretagne et en Irlande encore sous domination britannique. L’accueil irlandais est chaleureux, il ne risque rien des autorités durant ses promenades en ville. Le monde qu'il côtoie est celui des colons britanniques dont il a besoin pour lever des fonds. Un voyage dans le sud de l'île lui montre une autre réalité, l'Irlande catholique, pauvre, exploitée et mourant de faim à cause le la maladie de la pomme de terre. Il fait la connaissance de Daniel O'Connell, mais par intérêt politique et pour ne pas se fâcher avec l’intelligentsia britannique, il n’associe pas les deux combats...les irlandais n'ont pas de chaînes aux pieds, mais ils n'ont pratiquement aucune liberté non plus.
    George Mitchell lui doit gérer des intérêts contradictoires : pour certains, abolir la domination anglaise de l'ensemble de l'île d'Irlande, pour d'autres au contraire, il est impératif de rester dans le giron et au sein de la Grande-Bretagne, laquelle aimerait bien se débarrasser de cette épine, mais d'une manière discrète et surtout sans perdre la face aux yeux de l'opinion internationale. Bref, la quadrature du cercle !
    Dans la seconde partie du livre, plus romanesque, nous quittons l'Histoire avec un grand H pour l'histoire d'hommes et surtout de femmes qui ont fait les États-Unis, les gens ordinaires venant d'Irlande ou d'ailleurs, cherchant un monde meilleur.
    Colum McCann mêle habilement des personnages réels et d'autres fictifs.
    Alcock et Brown, aviateurs rescapés de la Grande Guerre, furent les premiers à avoir réussi la traversée de l'Atlantique entre l'Amérique et l'Europe, l'Irlande plus précisément.
    Frederick Douglass, métisse, esclave en fuite, est venu en Irlande parler de son livre et de son combat pour l'abolition de l'esclavage.
    George Mitchell, sénateur américain, est négociateur et artisan des accords de paix du Vendredi Saint. Les pages qui lui sont consacrées expliquent comment ce personnage a réussi ce qui semblait impossible avec humilité et une profonde écoute des autres. Un grand homme.
    D'autres sont purement et simplement des créations romanesques, Lily Duggan, jeune irlandaise pour qui sa rencontre avec Frederick Douglass fut primordiale et l’incitât à découvrir le Nouveau Monde. Et c'est son histoire et celle de sa famille qui va servir de fil conducteur au récit. Lily épousera Jon Ehrlich, sa fille Emily, journaliste, aura une fille hors mariage, Lottie Tuttle, photographe débutante en 1919, Hannah son arrière-petite- fille. La boucle est bouclée et que le vaste monde continue sa course folle.
    Ce livre permet de découvrir des aspects et des personnages plutôt méconnus de l'histoire, des relations entre l'Irlande et les États-Unis, ou de mieux connaître certains, je pense à George Mitchell, grand habitué des traversées transatlantiques.
    Un très grand livre avec des passages très réussis en particulier les pages consacrées à la découverte par Douglass de la Grande Famine qui ravageait l'Irlande entre 1845 et 1852.
    Une phrase en guise de constat :
    - Bloqués sur une question de termes. Les Anglais, leurs mots. Les Irlandais, les méandres du sens. Une mer minuscule les sépare, et pourtant...